Aller au Chapitre 1
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Bien déterminé à aller foutre mon nez exactement là où il ne faut pas, je franchis à présent la distance qui me sépare du Log Cabin par excellence en un temps presque record; la capacité pour le moins réduite de ma fidèle Sundance rendant évidemment la concurrence inatteignable en ce qui a trait à la « performance sur route ». À vive allure sur la 323, entre Saint-André-Avellin et Montebello, peu de temps avant de pénétrer dans le domaine privé maintenant connu sous le nom de Fairmont Le Château Montebello, le passé de cet endroit me monte à la tête. La « feuille de route » du Québec, pour ainsi dire, est en quelque sorte résumée par l'histoire de cet hôtel de luxe. Je sais, je sais, vous ferez pas d'histoire...
Il était une fois une contrée amérindienne qui vivait aux abords d'une large rivière affluente du Saint-Laurent, qu'on nommera plus tard rivière des Outaouais, en hommage à une tribu amérindienne qui contrôlait le commerce vers les Grands Lacs. Située pratiquement à mi-chemin entre Montréal et Ottawa, il faudra attendre un stade relativement avancé de la colonisation avant de pouvoir y rencontrer autre chose que des coureurs des bois. En fait, cette région au confluent de la rivière des Outaouais et de la rivière Petite-Nation était habitée par les paisibles Oueskarinis, une tribu algonquine. Cela dit, cette paisible tribu sera décimée par les infâmes Iroquois, qui leur tendit une embuscade à la source
de la rivière Petite-Nation, tout près du Lac-Nominingue – n'est-ce pas ainsi que nos manuels d'histoire présente la chose, les méchants Iroquois qui aidaient les méchants Anglais, et les gentils Algonquins qui aidaient les gentils Français? Enfin, passons...
Le premier « propriétaire » de ce lieu fut nul autre que Mgr Laval, quand ce territoire lui est octroyé des mains de la Compagnie des Indes Occidentales. Le monsieur, ayant of course, d'autres chats à fouetter – ou d'autres Indiens à endoctriner, c'est selon –, n'entreprend pas l'occupation et la « civilisation » des lieux. La désormais célèbre famille Papineau obtient la propriété de la Petite-Nation à l'aube du XIXe siècle. Dès lors débute l'activité économique encore aujourd'hui la plus « importante » de la région: l'exploitation forestière. Fait intéressant à noter, le bois « récolté » à cette époque est principalement destiné à la machine de guerre d'Angleterre afin qu'elle écrase les Français de Napoléon.
Le plus célèbre seigneur de ce coin de pays est sans doute Louis-Joseph Papineau, leader bien connu de l'insurrection armée de 1837. Le « Patriote-en-chef », au retour de son exil aux États-Unis, se fait construire, en 1850, un manoir qui se trouve encore sur le site du Château Montebello. Vous imaginez? Pendant que les Patriotes pleurent leurs morts, notre honorable homme politique se replie sur ses activités de propriétaire foncier et jouit de sa vie bourgeoise à souhait. Décidémment, le bourgeois, s'il se décoit de la défaite, n'en ressent pas la douleur si vivement, après tout. Dans cette incursion où je viens chercher le trouble en toute candeur, j'essaierai de trouver le temps de visiter ce manoir historique – ne vous inquiétez pas, Parcs Canada s'en occuppe, de notre patrimoine..
Les descendants de Louis-Jospeh cèdent progressivement ce qu'il reste du grand territoire à des intérêts privés pour ne conserver, en 1929, que le territoire actuel du Château Montebello et ce qui est maitenant une « réserve privée » dédiée à la pêche et à la chasse pour le bon plaisir de riches américains et européens. Désigné maintenant sous le nom de Fairmont Kenauk, at the Château Montebello, cet immense territoire renferme les plus beaux lacs de la région – il a même obtenu la sanction hollywoodienne, lorsque Sandra Bullock y est venue tourner un film somnifère.
(Pour avoir une idée de l'énorme superficie de ce territoire privé, regardez le vidéo suivant.)
À l'aube de la crise capitaliste la plus connue de l'histoire, Harold Saddelmire acquiert ces deux territoires – les territoire actuels du Château Montebello et de Kenauk. Peu de temps après, celui-ci « cède » la propriété à une association américaine, la « Lucerne Community », qui baptise l'endroit « Lucerne-in-Quebec », laquelle deviendra presque automotatiquement le « Seigniory Club ». Il s'agit d'un club regroupant des membres influents de l'élite économique et politique de l'époque. La liste de ses membres fondateurs est éloquente: Sir Charles Gordon, président de la Banque de Montréal, Sir Herbert S. Cole, président de la Banque Royale, le Sénateur François-L. Beique, président de la Banque Nationale du Canada, Louis-Alexandre Taschereau, premier ministre du Québec et Sir Edward Beaty, président du Canadien Pacific Railway. La crème de la bourgeoisie canadienne de l'époque, quoi.
L'objectif à court et moyen terme semble être la mise sur pied d'une communauté ultra-riche, centrée sur le loisir et la détente. La pierre angulaire de ce bourgeois projet est la construction d'un grand bâtiment en forme d'étoile. L'ensemble de la construction – sauf les fondations – est constituée de cèdre venu de l'Ouest par train – histoire de rentabiliser la chose pour CPR, sans doute. 3500 ouvriers, travaillent comme des forcenés pendant trois mois pour ériger la plus grande construction de bois rond au monde – le summum du fantasme de la « cabane au Canada », en somme. À peine revampée, peut-être, à l'auge d'une esthétique suisse, dominée, « empreinte » d'une ambition toute « américaine ».
Ce lieu demeurera la chasse gardée de l'élite économique et politique de l'époque, inaccessible au public, jusqu'à sa vente à CP Hôtels au tournant des années 1970. La période Seigniory Club, sur près de quarante ans, a vu se dérouler, paraît-il, nombre de secrètes « rencontres au sommet »; derrière les portes closes, qui sait quelles machinations les riches crapules de ce monde ont préparé afin d'asseoir leur pouvoir et leur fortune...
En 1999, CP Hôtels acquiert Fairmont Hotel & Resorts, et adopte son nom en même temps que son prestige – questionnement de « rayonnement », paraît-il...
Enfin, devenu lieu de villégiature de luxe, Le Château Montebello est peut-être aujourd'hui le théâtre d'une comédie dramatique macabre, avec, en tant que main feature et principale attraction, la mort annoncée du président détesté et honni de par le monde. Jadis lieu de résidence de l'un des principaux acteurs des premiers balbutiements de l'affirmation nationale canadienne-française de cette Amérique défrancisée, brutalement passé ensuite aux mains des vestiges – je dirais presque des décombres – du jadis « glorieux » et « incouchable » Empire britannique; puis, finalement, américanisé jusqu'à la moëlle, le Château Montebello affiche les stigmates de l'évolution politique et culturelle de la société québécoise. Aujourd'hui, le 4 juillet y est souligné avec plus d'entrain que le 24 juin, la plupart des Québécois-e-s n'ont pas les moyens d'y séjourner, et les conditions de travail se détériorent constamment – vous savez, le 11 septembre, la concurrence de la Chine, etc...
L'hôtel n'appartient pas officiellement à une compagnie américaine; mais tout le monde sait que, de nos jours, les compagnies aussi gigantesques que Fairmont ne connaissent pas de « pays »; pour ses actionnaires, d'où qu'ils viennent, il n'y a que l'accumulation continue du capital. Il n'y a que de riches clients à attirer, par tous les moyens. Il y a déjà belle lurette que l'appât du gain est essentiellement apatride; bien, sûr, l'État-Nation joue encore son rôle de « protection », et il se double parfois d'un nationalisme exacerbé, mais ce n'est qu'utulitairement...
Le paysage familier qui m'entoure me sort de ma rêverie. Montebello approche à toute vitesse, et je n'ai toujours pas de plan.